CONTRE LA MAGHREBISATION DE LA TURQUIE

Francois Bourcier - Avril 2004

 CONTRE LA MAGHREBISATION
DE LA TURQUIE

Le but de cet article est de sensibiliser à la nécessité d’améliorer les rapports entre la France et la Turquie et notamment de réaliser les promesses européennes qui ont été tenues à celle-ci depuis beaucoup plus de 40 ans. La position de la France semble de plus en plus évoluer vers le concept de pays tampons et faire jouer à la Turquie le rôle de zone intermédiaire avec le Moyen-Orient et l’Asie centrale. L’assimilation de la Turquie avec le Maghreb étant déjà assez avancé dans l’esprit de la population française et dans celui de nombreux participants à la vie politique.
 La Turquie n’est cependant ni islamique ni islamiste mais bien laïque. Les attentats dans les deux synagogues à Istanbul, l’ont rappelé, la population ayant exprimé immédiatement son horreur face au drame. La Turquie a toujours été un cas d’exception au Moyen-Orient. Elle ne s’y est jamais intégrée, de part sa culture et de sa langue si différente des pays arabes. Revendiquant l’appartenance de la Turquie à l’Europe, j’évoquerai les principaux sujets concernant l’identité de la Turquie, ses relations avec la France et les problèmes dans cette relation.


1.    L’histoire franco-turque

L’Asie Mineure est une source importante d’éléments culturels pour l’Europe tout au long de son histoire. L’origine anatolienne des langues indo-européennes formées à partir de 800 avant JC est désormais avérée. L’Asie Mineure a agit comme un pont naturel entre les continents, un carrefour d’échange qui a forgé une identité inventive, ouverte sur le monde et conquérante. Territoire souvent intermédiaire entre les puissances occidentales et orientales, c’est naturellement que le commerce se développe sous les grecs, les perses puis les byzantins. C’est ici également que les premières communautés chrétiennes s’établissent sous l’influence de Saint-Paul dont l’œuvre la plus connue est la lettre aux Galates. Les galates étant un peuple celte qui après avoir envahit les Balkans, attaquèrent Delphi (Grèce antique) en -279 puis après leur défaite se sont en partie réfugiés en Anatolie prés de l’actuelle Ankara.

Sous l’impulsion des turcs, puis des ottomans, un empire multi-confessionnel est constitué où le respect des cultures des peuples le composant est préservé et pris en compte (semblable en ce point à l'empire perse). Après la conquête du monde musulman, l’avenir de l’empire s’établit de plus en plus à l’Ouest. L’influence des nations européennes sur l’empire augmente et l’empire ne sait pas se réformer et finira par s’écrouler. Les turcs suivent alors Mustafa Kemal Atatürk pour empêcher la scission de leur pays. Atatürk est un homme moderne qui lit des œuvres françaises (Montesquieu, Rousseau, Voltaire, …) et porte une admiration pour Napoléon.
Pendant toute cette période le mélange des cultures et des esprits fait de ces palais des hauts lieux de la pensée intellectuelle et artistique qui influenceront toutes les cours européennes. L’empire ottoman permettra à nombre de peuples de se développer à leur contact, les dirigeants régionaux étant souvent issus des populations locales. L'alliance conclue entre le Royaume de France et la Sublime Porte, entre François Ier et Soliman le Magnifique, s'est maintenue de façon exceptionnelle au cours des siècles, faisant dire à Robespierre que la Turquie était la plus ancienne et fidèle alliée de la France (depuis 1536).  C’est également un lieu de refuge pour les juifs chassés d’Espagne. D’autres activités limitées en Europe par le poids culturel dont les sciences et la médecine vont continuer de se développer dans l’empire ottoman pour plus tard être progressivement ré-intégrées dans les pays européens.

Les références aux turcs seront récurrentes dans la littérature française et espagnole à partir du XVIe siècle. Vu à l’époque comme l’héritier des empires romains et byzantins, l’empire ottoman suscite à la fois admiration et irritation.
Cet héritage est imaginé dans les images des repas qui se prennent parfois couchés comme à Rome, des lutteurs turcs qui combattent nus comme dans la lutte gallo-romaine. Les analogies sont nombreuses et montrent avant tout une ouverture de cet empire aux différentes cultures et une meilleure connaissance de l’antiquité que l’occident commencera finalement à étudier avec le rapatriement des manuscrits de feu Byzance. Le voyageur de l’époque sera volontiers surpris de certains éléments de continuité. La cautérisation des plaies des blessés sur les champs de bataille s’effectue selon les préceptes de Socrate. Les hammams turcs, évolution des thermes romaines font connaître à la société turque une hygiène nulle part égalée alors. La création d’un corps d’élite de l’armée : les janissaires semblent perpétuer les légionnaires romains. Cependant l’empire ottoman est estimé avant tout comme un empire non chrétien. C’est pour cela que l’on rencontre des adjectifs souvent antonymes pour décrire les turcs. Par exemple,  ils sont volontiers dépeints comme barbares, tout en étonnant par leur humanité. De nombreux hommes verront dans l’empire ottoman, une image de justice et d’équité qui contraste avec les errances du monde chrétien. Ils pensent que la grandeur de l’empire ottoman est la preuve qu’il faut corriger les défauts chrétiens sur le rival ottoman. C’est d’ailleurs la structure évoluée et efficace de l’empire ottoman qui inspire de nombreuses réflexions politiques et militaires en Europe comme celle de Machiavel.

De nos jours, les principales références culturelles de la population turque sont celles des Etats-Unis et de la France. Le goût des turcs pour la modernité s’exprime en permanence à travers les centres commerciaux, restaurants, cinémas et bars qui fleurissent en permanence et rivalisent d’idées et d’innovations. La cuisine, l’enseignement, la littérature et la musique française conservent une place importante à travers tout le pays mais plus particulièrement à Istanbul. La langue turque réformée en 1924 minimise l’influence de l’arabe sur la langue, notamment en adoptant l’alphabet latin, et emprunte alors beaucoup de vocabulaire au français et à l’italien. Istanbul est l’une de principales missions culturelles françaises à l’étranger et de nombreux établissements d’enseignement étrangers parsèment la ville (français, allemands, autrichiens et américains). Istanbul

2.    Le système politique turc

Le système politique est forgé par Atatürk, héroïque commandant de l’armée turque, à partir des codes de plusieurs pays européens. Ses premiers gestes seront l’abolition du sultanat, du califat, de l’alphabet arabe et la laïcité. L’occidentalisation de la Turquie avance alors à pas de géant, avec une meilleure scolarisation, de nombreux travaux d’infrastructures et un rôle égal accordé à la femme. L’occidentalisation du pays n’est plus vécue comme le moyen d’empêcher la chute de l’empire mais comme le meilleur moyen de promettre un avenir radieux à la jeunesse turque.

Ces principes sont établis, puis respectés dans toutes les époques politiques. Cependant le principe faisant de l’armée un garant de la constitution est souvent utilisé pour réprimer des partis politiques ou des personnes de manière abusive. Ces réactions s’expliquent avant tout par une crainte de la disparition de l’état turc dans sa forme actuelle. Le traumatisme du traité de Sèvres ne s’estompant que progressivement des mentalités.

Les réformes kémalistes font intégralement parties de l’identité turque et le support de la laïcité est très présent dans les villages anatoliens et dans les classes moyennes et supérieures. De plus, les pratiques des musulmans en Turquie sont très variées et une approche individuelle de la religion est privilégiée sur une approche rigoriste. La présence de différents courants comme l’alévisme hétérodoxe mais aussi de fortes minorités juives et chrétiennes (orthodoxes, catholiques et arméniennes) s’oppose à la pensée générale que la Turquie ne peut se fonder sur une seule confession.

Les élites politiques quelques peu bureaucrates n’ont jamais réussi à établir de gouvernement stable, les gouvernements de transition s’étant succédés favorisant les compromis de peu d’intérêt et la corruption. A ce titre le gouvernement de l’AKP au pouvoir, qui se définit comme un parti conservateur et réformateur, a rompu avec ses prédécesseurs et a poussé le paysage politique à évoluer. Le parti d’opposition CHP, kémaliste et étatiste, doit évoluer pour reconquérir et se rapprocher de son électorat. L’AKP a joué un rôle de médiation entre les volontés populaires et la machine d’état. Elle a également mis en place d’incroyables réformes mettant à jour des pans entiers de la loi turque.

Si les problèmes de droit de l’homme sont en bonne voie de résolution, les problèmes de la justice et d’économie seront plus longs à rétablir. Les performances de la Turquie sur de nombreux critères sont très bonnes par rapport aux candidats qui rejoignent / ont rejoins récemment l’UE.

3.    La religion en Turquie

Aujourd’hui, parfois avouée, la peur de beaucoup est qu’avec une Turquie dans l’Union, l’on prendrait le risque de voir les remous imprévisibles et menaçants du monde musulman directement introduits dans la place.
La Turquie, elle, s’est toujours méfiée de ses voisins du Sud qui l’ont « trahi » en 1916 (la révolte arabe contre la tutelle ottomane). En abolissant le Califat, la Turquie s’éloignait définitivement du monde arabe. Dès 1948, la Turquie reconnaissait l’État d’Israël, esquissant un axe géostratégique qui depuis s’est approfondi. Cette alliance, avec Israël, permet aux Turcs de renforcer leur rôle géostratégique face à la Russie. C’est aussi une preuve de la longue amitié entre ces deux peuples.

Forte de son histoire et des nombreux déplacements de population qu’elle a connue, la Turquie a su adopter un système ouvert dans la poursuite de la vision d’un Islam tolérant de l’empire ottoman. Les turcs sont en effet principalement de rite hanéfite, une des quatre branches principales de l’Islam. C’est ainsi que l’empire ottoman laissait une grande liberté dans la pratique cultuelle et linguistique de ses sujets. D’ailleurs de nombreuses populations souhaitaient pouvoir vivre de telles libertés : ce sont les cas (non exhaustif)  par exemple des arméniens qui souhaitaient fonder leur église chrétienne hors de la pression de l’empire byzantin ou encore des hongrois qui craignaient la reconquête par les autrichiens.

La religion pratiquée en Turquie est issue de cette histoire et l’on ne peut l’assimiler à d’autres pratiques musulmanes. Effectivement, l’islam tout comme la chrétienté n’est pas un univers uniforme. Il convient de ne pas pratiquer l’amalgame et de définir clairement les ensembles distincts qui s’en départagent :
·         Arabes et Berbères (autour de l’arabe)
·         Irano-Indiens (autour du perse)
·         Turcs et turcomans (autour du turc)
·         Malais dont Indonésiens (autour du malais)
·         Africains (autour du swahili)
·         Occidentaux (langues européennes)

Une des particularités de la Turquie est également un courant de l’Islam: l’alévisme. Les pratiquants de cette religion sont entre 10 et 20 millions en Turquie. Ce culte musulman hétérodoxe laisse une grande place à des pratiques ancestrales venues des steppes d’Asie centrale. Les alevis ont foi en Ali, le neveu de Mahomet, qui aurait été écarté de la succession par des complots calculateurs, et des manipulations des écrits. Les alevis en déclinent une interprétation ouverte du Coran, plutôt qu’une interprétation littérale. Ils font également référence à la Tora et aux évangiles. Leurs pensées s’articulent autour de certains penseurs qui vont décrire des attitudes progressistes qui peuvent se résumer comme suit:

  • Amour de dieu: Une personne n’atteint la vraie maturité et la paix que par l’amour de Dieu.
  • Focalisationsur la substance plutôt que le superficiel: La sagesse profonde et la connaissance des choses religieuses sont des faveurs spéciales offertes par Dieu à ceux qu’il a choisi. Dieu ne regarde jamais les manifestations extérieures des actes mais l’intention portée lors de ces actions.
  • Amour et unité entre les peuples: Les biens de ce monde ne bénéficient en rien à quelqu’un. La seule chose qui illumine le chemin d’une personne est l’amour divin et humain. Ceux qui rejoignent les cieux réalisent ces faits quand ils y arrivent, mais ceux de ce monde ne peuvent savoir ce qui sera précieux dans le prochain.
  • Pouvoir de sainteté: Il est inutile de chercher Dieu dans tel ou tel endroit. Si un homme croit qu’il a atteint la maturité et qu’il croit en lui, il devrait arrêter de chercher sans cesse comme un astrologue inconscient des signes du ciel. Ce qui est sacré n’est pas au-dessus mais à l’intérieur de soi, enterré sous l’apparence extérieure d’une personne.
Ces visages de la foi musulmane en Turquie montre que loin des clichés, les pratiques de ce pays sont farouchement opposées au wahhabisme dogmatique de l'Arabise Saoudite. C’est pour cette approche d’une foi relevant de la sphère privée que la Turquie s’est doté très tôt d’une constitution laïque, dont nombre d'anatoliens sont de fervents défenseurs.

4.    L’indépendantisme kurde

La revendication d’un état appelé Kurdistan est née des options envisagées pour le démantèlement de l’empire ottoman. Historiquement les peuples kurdes habitaient les montagnes entre l’Anatolie et la Perse. Ils étaient organisés par vallée avec des communications très limitées avec l’extérieur. Leurs aspirations limitées en ont toujours fait des vassaux des grands empires. C’est surtout en se regroupant dans les villes et avec le développement des trafics illégaux que le mouvement indépendantiste s’est organisé dans la Turquie du Sud-Est puis en Irak du Nord, unifiant peu à peu les dialectes locaux en plusieurs langues kurdes.

La lutte antiterroriste a duré 10 ans et coûté la vie à 30.000 personnes. La violence des exactions perpétrées sur la population locale et à Istanbul, a été la source de nombreuses interventions de l’armée et de la déclaration de ces zones en état d’urgence. Le contrôle civil des forces utilisées étant faible, le respect du droit n’a pas été assuré dans nombre de cas. De plus, la constitution dénonçant explicitement toute remise en cause de l’intégrité de la Turquie, les discours séparatistes on toujours été sévèrement jugés.
La situation est cependant loin d’être catastrophique. Les régions du Sud-Est se développent désormais rapidement grâce notamment aux projets de barrages, au désenclavement qu’ils ont permis et au développement de zones agraires. De nombreuses personnalités turques sont d’origines kurdes, des publications en kurde existent, la langue kurde est reconnue. Les provinces kurdes votent de moins en moins pour les partis ethniques. Les kurdes représentent désormais des parts importantes des grandes villes de l’Ouest. La question kurde semble être réglée en Turquie. Ceci porte d’autant plus les regards du gouvernement turc sur les développements au Nord de l’Irak.

L’histoire ne pouvant être sans cesse réécrite le projet de création de Kurdistan a été abandonné d’abord et avant tout par les grandes puissances européennes. Sa non-existence ne peut continuer à être reprochés à d’autres nations que les nôtres. En effet, en 1923, les puissances occidentales, qui n’avaient pas cherché à aider les Grecs chassés par Atatürk, oubliaient leur promesse d’un État kurde. La petite Arménie avait été à nouveau absorbée par la Russie, il n’était plus question de lui attribuer de nouveaux territoires. La république de Turquie était la puissance dont les Occidentaux avaient besoin pour empêcher la Russie de prendre le contrôle des Détroits, ce qui aurait alors facilité son expansion en Méditerranée.

5.    Le génocide arménien

Depuis le 14e siècle, et jusqu’en 1918, la population arménienne fut partagée entre la Perse, l’Empire ottoman et, à partir du 19e Siècle, la Russie. En 1914, une partie importante, peut-être une majorité de cette population, vivait dans l’Empire ottoman : c’est elle qui disparut en partie entre 1915 et 1916. Les Arméniens, dont l’Anatolie orientale est le territoire originel, jouaient jusqu’en 1914 un rôle de premier ordre dans l’Empire ottoman, de par leur nombre et de par leur position économique et sociale garantie par leur statut de minorité. Pendant le conflit armé avec la Russie, celle-ci utilise les arméniens pour saboter les lignes logistiques ottomanes. En échange, les arméniens ont la promesse de la création de l’Arménie an Anatolie Orientale.  Les organisations terroristes et les milices arméniennes qui s’organisent expliquent en partie les défaites de l’armée ottomane sur le front russe. Selon une stratégie souvent utilisée dans l’armée ottomane, la décision d’évacuer le front est prise. Une majorité des populations arméniennes devront rejoindre des zones Sud (situées dans l’actuelle Syrie) jugées sûres et hors de portée de la zone de conflit. Malgré les précautions prises, les effectifs assignés aux taches de la migration se révèleront insuffisantes, notamment face à l’insécurité ambiante et à l’hostilité envers les « traîtres arméniens ». En ce temps de guerre, des bandits et des milices locales (notamment kurdes) attaquent les convois arméniens qui transportent leur mobilier et sont des proies faciles. Tous les villages arméniens ne sont pas cependant évacués (environ 400.000 sont concernés par la déportation) et un certain nombre d’arméniens décident de fuir par eux-mêmes. Ces temps de guerre sont propices aux épidémies qui déciment les populations les plus fragiles. Ceux restant dans leurs villages, s’ils peuvent être soldats, intègreront l’armée turque ou rejoindront l’armée russe.

La diaspora arménienne souhaite la reconnaissance de ce drame en tant que génocide. La dénomination en étant inappropriée dans son sens légal (rétroactivité). Les conférences pour la reconnaissance de celui-ci accueillent également des sujets aussi étranges que la reconnaissance du génocide vendéen. Pour moi, vendéen de souche, cette idée me semble incroyable et anachronique, et même Mr Philippe De Villiers (Député ultraconservateur de Vendée) n’oserait en parler.



6.    Une vision pour l’Europe

L’intégration de la Turquie à l’Europe est un message pour l’identité de l’Union Européenne. Cette identité se définit par une primauté des règles internationales et européennes pour trouver des réponses aux problèmes modernes et établir des institutions communes qui peuvent y répondre. En matière de régulation du commerce, de lutte antiterroriste, de développement régional, de transport, de justice, l’Europe est un modèle global. La stabilisation des équilibres mondiaux ne pourra se faire que par l’établissement de modèles de développement et d’intégration dans le système et la régulation mondiale pour les pays en voie de développement et notamment pour les pays à majorité musulmane.
Contrairement à ce que les anti-américains veulent croire, la Turquie est un pays réaliste qui base ses relations sur les faits. Le péril russe étant derrière nous, le partenariat entre la Turquie et les Etats-Unis s’est distendu et c’est profondément dans une Europe Puissance et au caractère politique indiscutable que la Turquie veut entrer. La Turquie veut une armée européenne, un espace de justice européen, un modèle social européen né de la confrontation du modèle rhénan et du modèle américain.

Dans ce cadre, l’intégration de la Turquie dans l’Europe démontre que les institutions et les règles internationales sont ouvertes et adaptées à tous types de pays quel que soit leur religion majoritaire, culture ou histoire. Cela est également un signe important pour l’intégration des minorités musulmanes dans l’espace culturel européen et pour l’ex-Yougoslavie. En effet, plusieurs peuples, les Grecs, les Serbes, les Bulgares, les Albanais, les Roumains et bien d’autres ont vécu en symbiose avec les Turcs durant plusieurs siècles. Même si, la plupart d’entre eux ont bâti leur État, et parfois une partie de leur identité, en opposition à l’occupant ottoman, la Turquie n’en conserve pas moins des liens dans la région
L’approfondissement de l’Union Européenne est plus bloqué par les pays de l’ex-bloc communiste, encore obsédés par leur passé que par la Turquie résolument progressiste et tournée vers l’avenir. La question des frontières de l’Europe avec l’Asie au Sud a été réglée pour le Proche-Orient, une fois Chypre intégrée à l’Union Européenne. L’intégration de la Turquie ne signifie pas l’intégration de la Russie ou du Maroc.

La Russie même si elle a été un empire souvent respecté de l’Europe ne possède ni de langue, ni d’alphabet, ni d’intégration territoriale ou économique susceptible de justifier son appartenance à l’union européenne. La Russie surtout ne souhaite pas être intégré à l’Union Européenne mais continue de vouloir se positionner comme un pôle mondial d’attraction.
Les pays du Maghreb ne sont objectivement pas européens même si le passé colonial est fort. L’intégration de ses pays ne peut se résumer qu’à un calcul économique mais aucun besoin stratégique, culturel au politique ne saurait s’établir durablement entre l’UE et ces états africains. L’intégration de ses pays mènerait forcément à l’intégration de l’ensemble du bassin méditerranéen dans l’Union Européenne. C’est un projet que ni ces populations d’Afrique et d’Asie ne veulent, ni les populations européennes et qui n’était porteur de sens qu’à l’époque des empires romains, byzantins et ottomans. Depuis, la découverte de nouveaux continents et de nouveaux modes de transport a fait perdre à cet espace sa qualité de centre du monde.

7.    Le nouveau voisinage de l’Union Européenne

Le risque de conflits régionaux et la crainte d’un facteur d’instabilité pour l’Union Européenne sont une des raisons les plus évoquées pour « contenir » la Turquie hors d’Europe. Mais si les risques de conflits existent, ils restent néanmoins nettement plus faible dans l’option de l’intégration de la Turquie à l’Union Européenne.

L'islamophobie et la judéophobie sont parmi les principaux maux qui rongent le Proche-Orient, tout comme l’Europe. La Turquie est un pays qui a su pacifier ses relations avec les pays arabes, tout en conservant une relation étroite avec Israël. Ce levier peut aider à la pacification du conflit israélo-palestinien, ce qui deviendra de plus en plus pressant avec l’intégration de Chypre à l’UE (et sa frontière indirecte avec le Liban, la Syrie et Israël). L’intégration de la Turquie à l’UE est de plus l’assurance du règlement du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les négociations d’adhésion de la Turquie ne pouvant se terminer sans la résolution du problème de la frontière entre la Turquie et l’Arménie. L’Iran au voisinage immédiat de l’Union Européenne perdrait de son influence sur la région et les risques de déstabilisation de la région (Irak, Turquie, Liban, Palestine). Les tentations d’appliquer la charia comme base du droit dans les pays de la région seraient diminuées également.

La position géostratégique qu’occupe la Turquie lui permet d’envisager de nombreuses alternatives à l’entrée dans la Turquie qui néanmoins seraient de portée beaucoup moins grandes pour la Turquie. La première possibilité, qui serait la plus naturelle serait une participation à un espace de libre-échange avec les Etats-Unis, peut être en même temps qu’Israël. La seconde serait un rapprochement avec les républiques d’Asie Centrale et la Chine. La dernière, enfin, serait un accord avec l’Iran et la Syrie et une plus grande intégration au monde arabe. Cependant toutes ces alliances ne permettraient à la Turquie de réaliser son potentiel et ne seraient pas porteurs de projets pour les turcs. Toutes ces configurations créeraient un voisinage européen beaucoup plus dangereux pour l’Europe et sa construction que l’utilisation de la Turquie comme tremplin dans cette zone géographique. L’Europe devra impérativement étendre sa zone d’influence si elle compte se définir comme interlocuteur égal des Etats-Unis, de la Chine ou de l’Inde.

8.    Conclusion


Loin d’être une dilution de l’Europe, l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne va permettre de renforcer l’Europe sur des projets et un avenir commun. L’Union Européenne ne peut espérer uniquement survivre au 22ème siècle, elle peut au contraire espérer replacer son modèle dans l’ère de la mondialisation. Les réformes des systèmes européens comme des systèmes post-communistes ou du système kémaliste sont nécessaires. Leur évolution vers une plus grande convergence est une nécessité à son développement et à la protection de ses valeurs.


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